Le Noir&Blanc


Dans beaucoup de situation, l'être humain se contente de voir le monde en noir et blanc, voyant le bien qu'il faut faire, et le mal qu'il faut combattre. C'est du moins le genre de leçon que nous avons toujours appris, que ce soit dans l'enseignement ou la religion.
Moi? Je pensais que le bien naissait du mal, que la clarté n'était visible que d'un point d'ombre, et qu'un ange n'apparaissait que lorsque les démons surgissaient. Je pensais qu'après le cataclysme qui s'était abattu, l'humain avait enfin compris comment vivre dans le calme et la sérénité.
Mais peut-être me serais-je fourvoyé? Peut-être est-ce le bien qui à créé le mal? Et peut-être même que ces deux concepts ne se trouve pas là où l'on aimerais qu'il se trouve.


Rapport N° ☺☻♥♦♠◘○◙♂♀♪♫☼►◄↕‼¶§▬↨↑– Segment Fault

Intitulé : Prologue.


La Terre est en ruine.
La Terre n’est plus.
Voila ce que je pouvais observer au travers de Cami, ma Caméra Aérienne à Mouvement Intelligent. C’était une simple boite, légèrement déformée par quelques gadgets, avec un objectif optique un peu grossier et une hélice horizontale. Je la radioguidais à l’aide d’un transmetteur bracelet dans la plupart des cas, mais son intelligence artificielle, son I.A., lui permettait de prendre certaines initiatives si je ne le lui interdisais pas.
Suivant donc mes instruction, elle se contentait de flâner, planer et d’avancer le long de la grande autoroute, me retransmettant tout ce qu’elle voyait dans mon monocle.
     Bé alors, c’est pas la grande forme aujourd’hui, dis-je. Tu te traines, ma grosse.
Elle comprit mon ordre implicite, bien que je n’avais pas vraiment l’intention de lui en donner un, et accéléra légèrement.
     Ah, là, attends ! regarde sur ta gauche, perpendiculairement à la route. Ouais, là, c’est bien.
Elle s’exécuta. Je pouvais voir un désert de terres arides, où quelques cadavres d’animaux, de voitures et d’arbres faisaient à peine surface. Le ciel était gris, et un nuage se déversait au loin, mais même à cette distance, n’importe qui était capable de voir que ce n’était pas de l’eau qui se déversait.
     Oh, magnifique ! Tout en une prise. Hum, et si j’essayais de trouver un titre… Ahah ! ‘Désolation, entre terres arides et pluies acides’. Pas mal. Continue d’avancer.
Cami reprit son bout de chemin. Les décors vides laissèrent place à une ville immense, une ville aux allures de capitale, une ville qui aurait pu être magnifique selon certains, si elle n’avait pas été anéantie. Les plus hauts gratte-ciel s’étaient effondrés, les autres maisons étaient abandonnées et en ruines.
Tout en pénétrant dans cette ville fantôme, l’autoroute prenait de la hauteur, surplombant même les maisons les plus hautes.
     Je crois qu’on y est presque. Commence à prendre de la hauteur.
J’entendis le bruit de l’hélice s’accentuer tandis qu’elle s’envola dans les airs.
     Ici, stop ! En voilà une belle vue.
Ce que je trouvais beau n’aurait pas été au gout de tout le monde : au milieu de cette jungle urbaine, la mort s’était abattue. Une mort… atomique. Un cratère de plusieurs centaines de mètres était visible en contrebas, les bâtiments alentours aillant été vulgairement croqués en son bord. L’autoroute elle-même s’était effondrée.
     Magnifique ! hum… ‘Destruction, la connerie atomique’. Eh, C’est quoi ce panneau. Zoom en 50,55.
Un panneau publicitaire tenait encore par miracle au dessus de l’autoroute. Je pouvais y lire très précisément : ‘Bientôt un nouveau parc. Pour une ville qui respire’, avec la marque ‘Eco+’ en guise de signature.
     …Qui respire. Pff, ahahah ! Effectivement, elle est déjà plus aérée. Allez, redescends et continue.
Cami reprit une altitude normale, passa le cratère comme s’il n’avait jamais existé, et continua en ligne droite.
     Trouvons un vieux bâtiment à visiter, maintenant. Sors de l’autoroute quand tu peux.
Après quelques secondes où les seules sorties visibles de part et d’autre de la voie n’étaient que de légers interstices entre les bâtiments, elle bifurqua sur sa droite et passa outre le muret de sécurité. Elle tomba tout en douceur sur la petite route en contrebas et reprit son flottement linéaire. Je la vis s’arrêter à un croisement en ‘T’, me montrant la maison qui lui faisait face
 Il s’agissait d’une bâtisse au style ancien, formée de colonnes en marbre imposantes, de portes en bois standards surmontées de petites lucarnes en demi-cercle et de fenêtres non-moins basiques. L’aliénation entre une architecture vieille de centaines d’années et un confort plus actuel, que seul l’être humain trouverait parfait. Son enseigne indiquait ‘Mairie’.
     Pas mal. Allons voir.
Cami s’élança, mais l’image de mon monocle commença à sauter, puis se brouilla presque entièrement.
     Et merde, l’image se barre. On est allé trop loin pour ce qu’il te reste d’autonomie. Retourne sur l’autoroute et reviens. Et repasse en 4:3, si ta batterie tombe en rade, tu finiras parmi ces débris.
Je ne sais pas si les I.A. ont suffisamment été développées un jour pour ressentir les émotions, mais il m’a semblé qu’après ma dernière phrase, Cami avait donné un coup d’accélérateur à son hélice.
Elle rebroussa donc chemin, remonta sur la haute autoroute et repartit en sens inverse. L’image m’était revenue claire, bien que l’icône de batterie se faisait de plus en plus vide. Une fois sortie de la ville, je ne voyais que la voie routière qui s’en allait jusqu'à l’horizon, et une légère forme au loin.
     Le retour va être un peu long. Que raconter de beau… hum. ‘Le monde des humains s’est une nouvelle fois déchiré dans une troisième boucherie mondiale.’
Plus Cami se rapprochait et plus la forme précédemment lointaine prenait de place : c’était une fortification blanchâtre immense surmontée d’une bulle de verre allant jusqu’aux nuages.
     ‘Seuls quelques êtres vivants ont pu survivre, moins de 15% parait-il’
L’autoroute menait à une porte blindée de la taille d’une petite maison, sur laquelle des graffiti et de vieux papiers étaient collés.
– ‘Les seuls survivants sont ceux qui ont choisi de vivre…’
En son sommet, un panneau indiquait : ‘Welcome to Project Heaven City #1’
     ‘…au paradis !’ Ahah, un petit effet dramatique en plus. Bon, allez ! repasse par la trappe et rentre.
Elle ne se fit pas prier : à peine avais-je eu le temps de composer le code d’ouverture que ma petite caméra s’engouffra à l’intérieur du caisson. Le portique arrière se referma aussi paresseusement qu’il s’était ouvert, et le cycle de décontamination de l’air commença. Je pouvais voir quelques jets d’air s’activer dans un léger sifflement. Une fois Cami purifiée, une autre trappe s’ouvrit, devant elle cette fois, et je pus passer la main à l’intérieur pour la saisir.
Je pointais l’objectif sur moi, pouvant ainsi m’observer à travers la vidéo.
     Allez hop ! Bonne nuit.
J’appuyai sur le bouton d’alimentation. Elle s’éteignit.

Fin du rapport N° Unknow






Rapport N° 01

Intitulé : Explications.


Bien qu’il me suffisait d’appuyer sur le bouton ‘power’ de Cami pour l’allumer, il lui fallait toujours quelques dizaines de secondes pour sortir de sa torpeur électronique. Le réveil d’une I.A. n’était jamais rapide. Je profitai donc de cette latence pour aller me servir un verre de soda sur-caféiné.
Il fut donc normal que la première image enregistrée me représente complètement avachi au milieu de mon lit et buvant à grandes gorgées ma boisson. Je n’avais pas de véritable signe distinctif : mis à part mon penchant pour les vêtements sombres, j’avais un visage assez commun. Des cheveux courts, noirs et toujours mal coiffés, les yeux marron et une barbe « de trois jours ».
Ce n’est que lorsqu’une voix à peine audible se fit entendre que je me rendis compte : Cami inscrivait déjà dans sa mémoire interne tout ce qu’elle voyait.
     Hein ? Ah, oui, ça enregistre déjà, merde, m’exprimai-je entre deux toux, aillant un peu bu de travers.
Je posai donc mon verre sur la table, à coté de l’objectif, et me rassis plus simplement sur le bord du lit. Cami pouvait observer
     Hum, coucou ! dis-je en agitant bêtement la main.
Une autre phrase incompréhensible se fit entendre.
     Quoi ? Oui, bon, je suis pas encore au point niveau introduction.
Ce fut à présent au tour d’un soupir de se faire entendre.
     Merci, râlai-je. Ton soutient me va droit au cœur.
Je repris un peu de soda avant de me lancer dans un monologue :
     Enfin bref, repris-je, hum… Je m’appelle Greg, et vous vous demandez surement, vous qui regardez cette vidéo, pourquoi est-ce que je l’enregistre ? La réponse est simple, c’est juste que, comme à peu près tout le monde ici, je ne fais pas grand-chose de mes journées. Alors je me suis dit, pourquoi ne pas m’amuser à filmer tout ce qui fait désormais la vie d’aujourd’hui, dans ce petit paradis. Et je me suis dit que je pouvais peut-être commencer par un peu d’histoire. L’histoire de la fin du monde.
Je marquai un temps de pause, tentant vainement d’ajouter un effet dramatique à mon discours. Mais une réflexion me traversa l’esprit.
     Euh, oui, évidement…soupirai-je. Ça risque de ne pas être très passionnant si tout ce qu’on voit dans la vidéo, c’est un pauvre clampin qui cause. Je vais essayer de trouver quelques images, ou des dessins, pour agrémenter le tout. Je reviens.
Et j’éteignis Cami.

J’allai sur mon ordinateur personnel, à la recherche de quelques images d’archive, afin d’embellir ma vidéo. Evidemment, le Méga-net n’était plus, mais le central de la ville avait copié un maximum de données dans ses bases, afin de garder un semblant de réseaux et d’histoire. C’était lent et limité, comme le réseau qu’utilisaient mes parents, internet, mais au moins, n’importe qui pouvait y faire ce qu’il voulait : de la création d’un blog à la dépense de ses points de vivre.
Je trouvai donc quelques photos de l’avant-guerre, les montai les unes après les autres, puis relia Cami afin qu’elle enregistre à la fois ce montage et mes commentaires. Elle se ralluma. Lentement.
La première image représentait une petite maison et son jardin.
     Il était une fois des petits humains qui vivaient tranquillement leur petite existence dans un magnifique monde de capitalisme florissant et pourrissant, de pollution asphyxiante et de guerres toujours plus barbares.
Pendant que je parlais, je fis défiler l’image d’une usine chimique, puis d’un cimetière militaire, n’aillant trouvé la moindre image de champ de bataille sanglant. L’image suivante montrait un robot et sa batterie.
     Heureusement, l’Homme ne peut pas tout rater : il a ainsi inventé la batterie à grande contenance, mettant fin au nucléaire en tant que générateur ; mais aussi l’intelligence artificielle. L’évolution robotique était telle qu’elle remplaça rapidement l’être humain dans énormément de travaux. La machine créant la machine, un concept assez amusant.
Je fis défiler l’image suivante : un robot à l’allure de squelette avec les yeux rouges.
     Ah, oui. Pour ôter tout problème de rébellion ou de cas de conscience, aussi intelligente que pouvait être une I.A., il a été formellement interdit de coder ne serait-ce qu’une ligne de sentiment. Il faudrait pas que les robots s’élèvent au même niveau que nous… quelle pensée stupide. Enfin bref !
J’enchainai sur l’image suivante : trois drapeaux y étaient visibles, celui de Etats-Unis, de l’Europe et du Japon.
     Un tel développement amena les trois grands dans une guerre économique de plus en plus étouffante, surtout pour le reste du monde qui n’arrivait plus du tout à suivre. Et je ne peux plus continuer mon dénigrement de l’humanité à partir d’ici, car c’est à peu près à cette époque que j’ai rejoint l’expérience : la ville paradis.
Plusieurs photos de construction de la ville, de son mur d’enceinte et de quelques buildings étaient à présent visibles.
     Cette ville n’était à l’origine qu’une grande expérience, avec un coté quelque peu communiste : puisque la machine remplaçait à présent l’homme dans plus de 50% de son travail, pourquoi ne pas essayer de créer une ville où seule la machine travaille. Une expérience où il faut juste se laisser vivre, vous vous doutez que je n’allais pas laisser passer l’occasion, même s’il fallait jouer les rats de labo. J’ai donc pris mon courage à deux mains, bravé les manifestations de gens indignés par de telles pratiques, et me suis présenté à l’entrée de City #1 avec les 700 euros requis.
Le diaporama était maintenant fini. Je débranchai Cami afin qu’elle revienne en mode d’enregistrement simple, braquée sur mon bureau ou se trouvait l’ordinateur, et moi devant.
     Vous vous dites que mon histoire ne peut pas être finie, ajoutai-je malicieusement, car on n’est pas plus avancé sur ce qui s’est passé au dehors de ces murs… Et bien, tout ce que je sais, c’est que l’expérience devait se dérouler une année complète, mais que les portes ont été rouvertes au bout du septième mois, et que beaucoup de personnes sont venues trouver refuge ici. Ah, si, un mois auparavant, les robots ouvriers se sont mis à construire cette immense bulle de verre très résistante. Nous avions supposé que c’était une partie normale du développement prévue par Dieu, l’I.A. maitre. Et c’est au neuvième mois que l’apocalypse est survenue. Les fortifications de la ville ne nous permettaient pas d’entendre ce qu’il se passait, mais on pouvait voir assez distinctement les explosions lointaines dans le ciel. Pourquoi Heaven City a été épargné ? La seule réponse plausible est que Dieu s’est suffisamment développé pour respecter les règles robotiques à la lettre… Nous protéger quoi.
Je cessai de me dandiner sur la chaise, et pris l’initiative de me lever avant de m’étirer.
     Voilà, vous en savez autant que moi. Ça fait maintenant presque quatre ans que nous avons survécu. Mais assez parlé du passé, le cours d’histoire prend fin !
Et Cami put se rendormir.


Fin du rapport N° 01